STEMP Magazine Saint-Etienne Loire n°78 Novembre 2020

RENCONTRE
Romain Pangaud a toujours rêvé d’être joailler. De ces vocations qui naissent dès l’enfance et ne vous lâchent jamais. Alors avec son épouse Sandrine, ils ont racheté la Maison Dorey et fabriquent des bijoux, les réparent, transforment, créent sur mesure… Application, passion et savoir-faire cohabitent dans un même élan de vie.

« Avec mon épouse, nous avons racheté l’entreprise en 2010. La particularité de cette entreprise c’est qu’elle a toujours été tenue par des joaillers de métier. Aujourd’hui je chapote des bijoutiers, joaillers, sertisseurs, nous sommes quatre en production, et une entreprise de onze personnes. On ne travaille que pour notre clientèle, on ne fait pas de sous-traitance pour les grandes marques ».

Je découvre chez Romain un vrai choix éthique. Ce sont des artisans, avec un grand A. des Artistes Artisans Amoureux de leur travail, attentifs à leur clientèle pour laquelle ils ont une vraie considération, loin des attentes mercantiles qui faussent si souvent les relations. Ici – et ce n’est bien sûr pas Romain qui me le dira, mais je le comprendrai au fur et à mesure de notre entretien, comme lorsque je croiserai un monsieur attendant sa montre – il existe une relation particulièrement raffinée entre le créateur, l’objet d’art et le client. Je me sentirai très vite dans un monde à part, un petit coin de privilège ouvrant la porte sur l’excellence, en toute humilité. L’atelier n’est pas spectaculaire, des établis bien éclairés, des outils, des artisans hyper appliqués, une ambiance studieuse tellement agréable…de celles qui vous rassurent, vous transportent en ces temps si durs que nous vivons. Ici, il y a un petit plus sur lequel je ne peux immédiatement poser des mots. Alors j’attends, j’écoute, j’apprends. La visite est un moment de grâce. Romain est simple, précis, enthousiaste. « On a toujours gardé des méthodes de travail très anciennes, comme le métal forgé. On travaille à la fois de manière très traditionnelle et très moderne, comme la construction par ordinateur. C’est pour ça que dans l’atelier vous voyez on n’a pas de grosses machines, parce que l’on fabrique toujours des pièces à l’unité. Il y a une très grosse diversité, beaucoup de création. L’équipe de création elle peut passer d’une petite bague toute simple, à un pendentif très compliqué…on travaille l’or, le platine, la cire sculptée… »

Je comprends le petit plus, il éclaire ce moment passionnant : Romain a fait de sa joaillerie un art qui traverse les âges sans bousculer le temps, sans effacer ce qui marchait si bien, ces racines trouvées et développées par nos anciens, tout en s’appuyant sur une modernité efficace. « On choisit les méthodes en fonction de la qualité, toujours ; si on travaille en fonction de la rentabilité, on oublie certaines méthodes. On cherche l’équilibre entre ce qu’apportent les techniques anciennes, et la productivité qu’il faut aussi garder car nos clients nous mettent aussi en concurrence avec des bijoux qui sont fabriqués en Chine. Il n’y a que 10% des bijoux en valeur vendues en France qui sont fabriqués en France. Ça veut dire que même certains grands noms usent d’artifices, faut pas se tromper. »

Dans cet atelier je trouve un apaisement, une bienveillance, un repos de l’âme. Ici on oublie la course contre la montre, les chiffres qui oublient les hommes, la dictature de la rentabilité qui broie le bonheur. On travaille pour la qualité et la mise en avant des hommes et des femmes qui la construisent, cette excellence. Chez Dorey, le client est d’abord une personne qui a besoin d’aimer ce qu’elle portera, ce qu’elle offrira. Une personne avec sa sensibilité, ses attentes, son imagination, qui souhaite découvrir en vrai ce qu’elle imagine dans sa tête, ce qu’elle aimerait dans son coeur, sans trop savoir comment s’y prendre. Romain et son équipe d’artistes joailler sont véritablement à l’écoute. Et il n’y a rien de marketing là-dedans, juste le désir de plaire et de faire plaisir. « Les gens arrivent principalement vers nous par recommandation. Quelquefois ils arrivent avec des idées très construites, des fois plus sommaires, et nous on doit traduire leurs attentes, on a des rendez-vous, je redessine tout à la main. D’autres fois on a des gens qui arrivent sans idées d’avance et on la construit ensemble cette idée. Même le client qui ne sait pas trop ce qu’il veut, il sait très bien ce qu’il ne veut pas, alors on découvre avec lui ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, ses préférences… On construit le projet avec lui. Et puis aussi il y a les modèles de la collection Dorey, et les clients viennent acheter un bijou fini. Comme une bijouterie classique. On a beaucoup de sur-mesure, mais on a aussi des pièces que l’on dessine et qui sont disponibles à l’achat tout de suite »

Les machines à souder au laser et les ordinateurs côtoient les méthodes traditionnelles. Romain et son équipe ont poursuivi l’élan donné par la famille Dorey. Créée en 1946 par Pierre Dorey, joailler de métier, très réputé pour son savoir-faire de haute qualité, les bijoux Dorey ne perdront jamais leur prestance. Bien au contraire, ses deux fils Jean-Pierre et Jean-Noël Dorey poursuivront avec coeur et une profonde exigence de qualité ce beau travail d’Artisan. « On a travaillé presque deux ans avec les fils Dorey. Ils souhaitaient un artisan de métier pour reprendre l’activité. Et puis il y avait les équipes en place. On a même eu des titres, on a été récompensé par la chambre des métiers, le premier titre de repreneur d’entreprise, et depuis on a beaucoup progressé, on s’est développé, mais toujours sans changer l’ADN de l’entreprise ».

Romain me montre une pièce dessinée par ordinateur, une alliance transformée en solitaire. Il me raconte l’histoire qu’il y a toujours derrière l’attente d’une personne. « Une transformation c’est une démarche. Mon épouse Sandrine gère toute la gestion, l’approvisionnement, l’organisation…il faut être deux ! Tout le monde a bien sa place ! »

En 2012 Romain et son équipe reçoivent le Label joaillerie de France, détenu seulement par une cinquantaine de sociétés en France, principalement des sous-traitants des grandes marques. Et ils le reçoivent à titre d’indépendant, ce qui est rare. Quelques années après Romain obtient également le titre de Maître Artisan. Sa vocation née depuis sa plus tendre enfance l’accompagne toujours avec la même ferveur.

« J’ai choisi ce métier très tôt. Au tout début quand j’étais enfant je faisais beaucoup de sculptures et de modelage . Et puis après quand j’ai eu 13, 14 ans, j’étais curieux, je suis allé voir des artisans joaillers pour découvrir leur univers de travail, ça m’a plu. Mais mes parents voulaient que j’ai le bac. Et après le bac je suis retourné en CAP de bijouterie. J’ai eu deux Maîtres d’apprentissage ».

Il me parle de Monsieur Martinelli, de Monsieur Vermare, et son regard brille. Je sens combien ces Maîtres sont présents. C’est si essentiel ces passeurs de passion, ces passeurs de savoir-faire, ces passeurs d’enthousiasme, de savoir, de confiance… alors Romain suit les bonnes directions, les choix éthiques, et travaille comme salarié dans des postes où il y a de la création, et non de la série. « Je n’étais pas du tout intéressé par les grandes marques qui font de la série. J’ai eu cette chance très rapidement de travailler chez de très très bons professionnels, qui étaient de toutes petites sociétés, mais que certaines joailleries venaient chercher pour leur ultra maîtrise. J’ai compris très rapidement que c’était possible » .

Après deux ans de la reprise de l’entreprise, Romain ira se former jusqu’à Anvers où il passe un diplôme au sein d’un laboratoire pour certification de pierre, afin d’être expert de diamant taillé. « C’est ce qui fait que certains clients du national aujourd’hui s’approchent de nous, car on est capable de fournir des pierres très rares, plus compliquées à trouver. On travaille avec des diamantaires qui respectent le processus de Kimberley, créé il y a une vingtaine d’années pour se prémunir contre les diamants qui sont issus des diamants de guerre qui financent les conflits. Ça nous permet de faire notre travail en conscience. »

La conscience d’un art d’artisan, celui qui nous offre ses lettres de noblesse, Romain et Sandine Pangaud le portent jusqu’au bout. Leur maison Dorey travaille avec ses propres métaux, tous en alliage neuf, affiné par des affineurs professionnels, mais issus à 100% du recyclage. Une si belle manière de nous partager de vrais beaux lendemains…

Caroline Puig Grenetier

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